Né le 23 août 1927 à Alger
(Algérie).
Martial Solal est certainement le musicien français le plus important
apparu depuis la disparition de Django Reinhardt. L'ampleur de sa carrière
et la richesse de son œuvre suffiraient à lui attribuer
ce titre mais ce serait négliger l'essentiel : ses talents
exceptionnels d'instrumentiste et l'incroyable fertilité de son
imagination dans l'improvisation qui en ont fait l'un des pianistes
les plus admirés, bien au-delà du seul cercle du jazz.
Débutant l'étude
du piano à l'âge de six ans, il découvre le jazz
à l'adolescence, par le biais de Lucky Starway, un saxophoniste
qui lui fait connaître les enregistrements de Louis Armstrong,
Fats Waller, Teddy Wilson, Benny Goodman, etc. et l'entraîne à
l'accompagner. Fasciné par le sentiment de liberté que
lui procure l'improvisation, Solal décide de devenir musicien
de jazz en 1945. Cette initiation l'encourage à travailler sa
technique pianistique. Installé à Paris en 1950, il travaille
dans des orchestres à la lisière du jazz et de la variété,
gagnant progressivement une réputation qui lui vaut d'accéder
rapidement au studios d'enregistrement (avec Django Reinhardt en 1953,
Don Byas, Lucky Thompson en 1956, etc.) et d'être sollicité
dans les meilleurs clubs parisiens pour accompagner les solistes américains
de passage, tout particulièrement au Club St Germain où
il est fréquemment associé à Kenny Clarke et Pierre
Michelot.
Reconnu comme instrumentiste brillant, il s'impose surtout comme soliste
aux conceptions singulières en développant, dès
1953, une activité de leader d'un trio qui comprendra au fil
du temps Pierre Michelot et Jean-Louis Viale, puis Guy Pedersen et Daniel
Humair (1960-1964) et encore Gilbert Rovère et Charles Bellonzi
(1965-1968). En 1956, il enregistre pour la première fois en
solo (un contexte auquel il reviendra souvent dans les décennies
suivantes) et illustre ses talents d'arrangeur en créant un grand
orchestre. Sa notoriété grandissante lui vaut d'être
invité en 1963 à jouer en club et dans plusieurs festivals
aux Etats-Unis en trio avec Teddy Kotick et Paul
Motian et d'enregistrer un album en leur compagnie qui sera diffusé
sur le territoire américain. Le trio s'impose comme le cadre
qui convient parfaitement au pianiste pour laisser s'exprimer toute
l'originalité de son inspiration et devient le lieu privilégie
d'exercice d'une pensée d'arrangeur éclairée cherchant
à sortir des schèmes traditionnels (tant dans la forme
des pièces que dans les rôles assumés par chaque
instrument).
Passé maître dans l'art de transfigurer les standards,
il déploie avec une maîtrise époustouflante une
approche exigeante de l'improvisation, basée sur le renouvellement
permanent, sa virtuosité alimentant une imagination sur le qui-vive
qui se refuse à la facilité ou aux clichés. Si
l'on retrouve dans son jeu des échos du raffinement harmonique
d'un Art Tatum ou un goût de la vitesse et de la netteté
qui rappelle Bud Powell, force est de constater que Martial Solal se
situe parmi les pianistes les plus remarquables par sa capacité
à combiner spontanément une pensée féconde,
une énonciation précise, le sens de la surprise et celui
du risque, sans que l'abondance de ses idées n'infléchissent
le swing ou ne le prive de son humour. Car aussi brillante puisse-t-elle
paraître, notamment grâce à la clarté de l'articulation
et au contrôle des dynamiques qui soulignent la verve de son inspiration,
l'expression de Martial Solal ne se défait jamais d'une malice
qui sait s'immiscer à bon escient au cœur des passages les
plus abstraits – comme le signe d'une vigilance permanente qui
l'empêche de se prendre au piège de la virtuosité.
Ses nombreux titres en forme de calembour sont aussi une façon
de se prémunir contre un trop grand esprit de sérieux.
Nombre des caractéristiques de son jeu de pianiste se retrouvent
dans ses talents d'orchestrateur. D'abord appliqués au cinéma
(pour lequel, de 1958 à la fin des années 1960, il écrivit
des musiques de films – la plus célèbre étant
celle d'A bout de souffle, de Godard), ceux-ci seront servis
par différentes formations constituées par le pianiste :
un big band en 1980 puis, par souci économique mais aussi esthétique,
des configurations plus légères, comme le Dodécaband
et le New Décaband. L'intérêt croissant de Martial
Solal pour la composition l'a d'ailleurs conduit à non seulement
concevoir des pièces développées pour petite formation
de jazz (Suite n°1 en ré bémol pour quartette
de jazz dès 1959 ; Concerto pour trio et orchestre
en 1981) mais également, depuis 1978, à écrire
de nombreuses œuvres orchestrales, répondant aux commandes
d'interprètes de musique classique ou contemporaine (collaboration
avec Marius Constant à l'écriture de Stress).
Parallèlement à cette œuvre d'envergure, Martial
Solal entretient depuis des années, un goût pour les récitals
en solitaire, s'engageant, parfois sans programme préétabli,
dans de longues improvisations spontanées, tout comme il multiplie
les rencontres en duo, suivies ou ponctuelles, avec d'autres fortes
personnalités musicales, dont certaines éloignées
de son propre univers : au fil du temps, Lee
Konitz, Stéphane Grappelli (1980), Jean-Louis Chautemps,
Toots Thielemans (1992), Michel
Portal (1992 et 1999), Didier
Lockwood (1993), Eric
Le Lann (1999), Johnny Griffin (1999) ou encore Dave Douglas (2005) ;
et qui parfois sont comme lui pianistes : Hampton Hawes (1968),
John Lewis ou Joachim Kühn
(1991). Pour autant, le contexte du trio continue de marquer son cheminement
artistique, qu'il s'agisse d'une formation régulière (comme
celle qu'il a constituée avec les frères Moutin) ou de
circonstance : Marc Johnson et Peter Erskine (1995), Gary Peacock
et Paul Motian (1997) ou François
Moutin et Bill Stewart (2001).
Reconnu comme l'un des plus importants musicien de jazz à avoir
émergé en France, comptant parmi les rares à avoir
conquis l'admiration de ses homologues américains (Duke Ellington
se fendit à son égard de compliments des plus élogieux),
Martial Solal a fait office de « parrain » pour
toute une génération de pianistes, notamment au travers
d'une émission radiophonique sur France Musique dans laquelle
il invita les plus brillants représentants de ses jeunes confrères,
dont certains reconnaissent son influence : Manuel
Rocheman, Jean-Michel
Pilc, Baptiste Trotignon,
Franck Avitabile, etc.
La création par la Ville de Paris en 1998 d'un concours international
de piano jazz portant son nom rend hommage à son talent, tout
comme l'attribution en 1999 du Jazzpar Prize, le « prix Nobel »
du jazz.
Vincent Bessières