Louis Sclavis
Né le 2 février 1953 à Lyon (France).

Figure de proue de la musique improvisée européenne, Louis Sclavis incarne les aspirations et les ambitions d’une génération venue à la musique dans le sillage du free jazz et de son acclimatation en France par des musiciens revendiquant leur désir d’autonomie esthétique et de pratiques nouvelles. Passé par des collectifs – tel le Workshop de Lyon – emblématiques de ces nouvelles approches, leader de groupes conçus autour de « projets » artistiques volontiers transdisciplinaires, Sclavis s’est imposé, en outre, sur des instruments demeurés longtemps marginaux dans le jazz moderne – saxophone soprano, clarinette, clarinette basse – embrassant un ensemble de références excédant très largement le seul champ du jazz au profit d’une sensibilité originale qui fait désormais référence. Compagnon de route de la plupart des grandes figures de l’improvisation, le clarinettiste défend, avec une constance farouche, l’exploration engagée de l’instant, le hasard heureux des rencontres impromptues et la liberté de la création individuelle.

Débutant à l’âge de dix ans l’étude de la clarinette dans une harmonie de quartier, Louis Sclavis suit pendant trois ans l’enseignement du conservatoire de Lyon (1968-1971) avant de rompre avec sa formation académique au profit de la pratique de l’improvisation et de la musique en direct (théâtre, chanson). Ayant adopté le saxophone soprano et la clarinette basse, il ne tarde pas à rejoindre le Free Jazz Workshop de Lyon en 1975 dans lequel il remplace Jean Méreu. L’année suivante, le groupe décide d’abandonner la référence au jazz et de ne plus s’appeler que Workshop de Lyon. Sclavis entretient d'ailleurs une relation distancée à la tradition de la musique afro-américaine, n'en retenant que les figures « libératrices » (Albert Ayler, Charles Mingus, Eric Dolphy). Très impliqué dans la scène locale, il prend part à différentes formations qui naissent dans la nébuleuse du collectif, telles la Marmite infernale et le Marvelous Band. Il participe en 1977, sur le modèle de l’AACM de Chicago, à la création de l’ARFI (Association à la recherche d’un folklore imaginaire) dont l’intitulé est un véritable manifeste esthétique révélateur des ambitions des improvisateurs français. Refusant tout leadership au profit de l’élaboration d’une œuvre collective, adepte d’une expressivité acoustique et mélodique en un temps où le rock se fait dominant, volontiers théâtral sur scène, évacuant toute distinction entre soliste et accompagnement, l’ARFI s’appuie sur des valeurs auxquelles la musique de Sclavis restera fidèle, lui-même demeurant membre du Workshop de Lyon jusqu’en 1988.

Parallèlement à son implication dans la scène lyonnaise, Sclavis séjourne dans la Compagnie du batteur Bernard Lubat et croise la route des principales figures du jazz émancipé en France : Michel Portal, Jacques Di Donato et Jean-Louis Chautemps dans un quartet de clarinettes (1979) ; Henri Texier, qui l’engage dans son quartet où il succède à Eric Le Lann ; et Didier Levallet, entre autres. En 1980-81, il joue dans le Brotherhood of Breath du Sud-Africain Chris McGregor puis crée son premier groupe, Le Tour de France, avec six musiciens originaires de différentes régions de l’Hexagone (Gérard Siracusa, Yves Robert, Benat Achiary, Philippe Deschepper, Michel Doneda et Alain Gibert). En outre, son goût grandissant pour les rencontres l’amène à échanger (et, parfois, à être enregistré) au fil des ans avec Tony Oxley, Evan Parker, John Lindberg, George Lewis, Anthony Braxton, Cecil Taylor… Il se distingue alors par l’originalité de ses talents d’improvisateur et l’utilisation intensive qu’il fait des clarinettes. Significativement, ses deuxième et troisième albums s’intitulent respectivement « Clarinettes » (1984, en solo) et « Rencontres » (1985). Membre du Trio de clarinettes avec Di Donato et Armand Angster (1986-1993), dont le répertoire allie pièces contemporaines et pratique de l’improvisation, Sclavis constitue en outre un quartet avec Bruno Chevillon, Christian Ville et François Raulin avec lesquels, augmentés de Dominique Pifarély, il enregistre l’album « Chine » (1987) qui lui vaut une reconnaissance publique : en 1988, il est récipiendaire du prix Django-Reinhardt de l’Académie du jazz qui salue le « musicien de l’année ».

La notoriété aidant, porté par une énergie créative qui le caractérise, le clarinettiste déborde d’initiatives et de propositions. Sur une commande du Festival de jazz de Paris, il s’approprie le répertoire de Duke Ellington (« Ellington on the Air », 1991). Sa curiosité pour les traditions populaires l’amène à collaborer avec l’ensemble breton Quintet Clarinettes, le chanteur auvergnat André Ricros et le joueur de vielle Valentin Clastrier. Travaillant à des musiques de scène pour la danse (avec la chorégraphe Mathilde Monnier) et le théâtre (pour la compagnie Image aiguë), il compose pour le cinéma et s’associe avec le photographe Guy Le Querrec pour élaborer différents spectacles associant projection d’images et musique en direct (De l’eau dans le jazz, Jazz comme une image, etc.). C’est également sous l’œil du photographe de l’agence Magnum qu’au sein du trio Romano/Sclavis/Texier, il entreprend une tournée en Afrique centrale (1990) qui donnera lieu à la publication de « Carnets de route » (1994) puis une autre en Afrique de l’est (1997) à l’album « Suite africaine ». En tant que leader, il forme, en association avec Pifarély, l’Acoustic Quartet avec Marc Ducret et Bruno Chevillon ; un trio avec François Merville et Chevillon (« Ceux qui veillent la nuit », 1994) ; un sextet avec lequel, en 1994, il conçoit « Les Violences de Rameau » inspirées par le compositeur Jean-Philippe Rameau (1683-1764). Autant de « lieux », comme il aime à dire, au sein d’un même territoire, dont il pousse l’exploration jusqu’à d’éprouver le besoin d’en changer. Sa musique prend ainsi une forte dimension chambriste, attentive à la combinaison des timbres instrumentaux et aux prétextes d’improvisation, lui-même se distinguant aux clarinettes par les nuances de sa sonorité, l’éventail de ses effets (jeu des clés à vide, slap, growl), et la maîtrise du développement de ses interventions. Mais elle s’inscrit dans une urgence, une inquiétude, une violence, qui lui confèrent une part forte de sa dramaturgie, entre tension et délicatesse, fragilité et puissance.

Jalonné de rencontres suivies avec des musiciens aux démarches singulières, du violoncelliste Ernst Reijsger au batteur Jim Black en passant par Dino Saluzzi, Jean-Pierre Drouet, Fred Frith ou encore Dave Douglas et son aîné Michel Portal, le parcours de Louis Sclavis prend une résonance internationale grâce à une importante activité scénique et le soutien du label allemand ECM. C’est sous cette étiquette qu’il publie, en 2000, « L’Affrontement des prétendants » puis enregistre deux ans plus tard, « Napoli’s Walls », inspiré des collages réalisés dans les rues de Naples par le peintre Ernest Pignon-Ernest, avec Vincent Courtois, Médéric Collignon et Hasse Poulsen. Cette formation s’élargit en « Big Napoli » en accueillant notamment le verbe du slameur Dgiz. Devenu désormais une référence en matière de musique improvisée, Louis Sclavis s’entoure en 2005 de musiciens plus jeunes au sein d’un groupe qu’il baptise, avec son talent pour les titres aux résonances poétiques, « L’Imparfait des langues ».

Vincent Bessières