Daunik Lazro
Né le 2 avril 1945 à Chantilly (France)

Figure majeure de la musique improvisée européenne, le saxophoniste Daunik Lazro est depuis trente ans le défricheur inlassable de nouveaux territoires, dans l'héritage du jazz ou cultivant ses marges. Un parcours intransigeant, autodidacte, qui est avant tout le signe d'une grande exigence de soi. Daunik Lazro découvre le jazz à la fin des années 1950 avec Sidney Bechet, puis Charlie Parker, Ornette Coleman… C'est ce dernier qui l'amène à adopter le saxophone alto. Au milieu des années 70, il fait ses classes avec le contrebassiste américain Saheb Sarbib, puis s'associe à l'aube des années 1980 avec notamment Jean-Jacques Avenel, Siegfried Kessler ou George Lewis, pour des formations de plus en plus engagées dans l'improvisation libre (trois albums en témoignent sur le label suisse Hat Hut).

L'écoute du saxophoniste anglais Evan Parker, et la voie tracée par le français Michel Portal, le portent à affirmer une identité européenne décomplexée de l'héritage du free jazz américain. A l'instar du trio emblématique qu'il forme en 1986 avec le saxophoniste Michel Doneda et le percussionniste Lê Quan Ninh : l'improvisation réfute tout langage préétabli, la rencontre prenant son sens par le don de soi dans un processus rituel. Daunik Lazro privilégie les petites formations sans hiérarchie, inspirées par « la magie du matériau sonore, beaucoup plus que par les formes ou les structures verticales ». Les années 1990 seront marquées par un nouvel intérêt pour le jazz, avec le quartet Outlaws In Jazz auquel participe le batteur américain Dennis Charles, et surtout la concrétisation de la rencontre avec le saxophoniste et trompettiste Joe McPhee (notamment en duo et au sein du quintet Dourou). Daunik Lazro renoue plus explicitement avec les notions de phrasé et de tempo, à l'aune du trio And His Orchestra, formé avec deux compagnons de longue date, le contrebassiste Jean Bolcato et le batteur Christian Rollet. Le saxophoniste y garde en mémoire les incantations ayleriennes, avec un lyrisme à la fois tendre et acéré porté par la tension permanente entre phrase et matière.

C'est par un album solo que Daunik Lazro inaugurera le siècle naissant, « Zong Book », aboutissement d'une pratique décisive, l'occasion pour le saxophoniste de se livrer à l'introspection abrupte d'un sculpteur sonore. Il y donne libre cours au baryton, instrument adopté plus tardivement que l'alto, avec lequel il avoue effectuer « un retour aux origines, au non savoir ». Si, ces dernières années, il s'ouvre à de nouveaux champs d'expérience (notamment avec le duo électroacoustique Kristoff K.Roll), c'est aussi l'occasion de creuser plus encore un rapport privilégié avec les cordes. Régulièrement associé au violoniste Carlos Zingaro, il double volontiers les contrebasses dans ses propres projets. Souplesse harmonique et caractère incisif du jeu sont en correspondance directe avec sa recherche de finesse des textures, lui ouvrant des univers proches de la microtonalité. C'est dans cet esprit qu'il rejoint le quartet NOHC sous l'égide du violoncelliste Didier Petit, et que se construit le quartet Aérolithes avec deux saxophonistes, violon et violoncelle. Un itinéraire exemplaire aux confins de l'improvisation, s'interrogeant sur le lien entre espace intime et alchimie collective, dans le mystère de l'instant.

Thierry Lepin